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Tiré de Panorama & Perspectives
Perspectives IX - numéro 653
Noir = Jocelyn
Bleu = Steve

Et une interview avec Steve Savage, une!
par Jocelyn Gagnon et Steve Savage
26 juillet 1990

- Ah! Tiens! Un Steve Savage. Vous permettez que je vous appelle si j'ai votre numéro de téléphone?

- Bien sûr, mais s'il-vous-plaît, pendant les heures de bureau. En ce moment, je ne suis pas libre, je suis au crayon. Veuillez composer de nouveau ou demandez l'aide de vos yeux pour lire ce que j'écris.

- C'est déjà fait. Dites-moi quel sujet vous avez en tête aujourd'hui, et ne me dites pas «je», c'est ridicule. Nous verrons si nous voyons.

- Nous pourrions parler de Dieu mais ça pourrait nous mener loin. Tiens, parlons d'une chose qui nous est commune, une activité qui alimente notre verve scripturale pendant des heures. Entrons dans une transe d'onanisme alphabétique, parlons de l'écriture, les mots, la littérature pardi! la poésie! pourquoi pas. Voici justement un petit démon de poème cru qui sort, comme ça, «on the top of my head»:

Les rouges sons roses - Amour
Les bleus sont violettes - Toujours
Me rappelle plus du reste - Baby! (ou bébêêêê!)
Écrivons quelque chose - Youppi! (ou épais!)
- Connaissez-vous le pipa, cher ami? C'est un gros crapaud carrément dégueulasse d'Amérique Tropicale qui ferait mieux de rester chez lui plutôt que de venir écœurer le vulgum pecus avec ses verrues grosses comme des pommes.

- C'est ça cher ami, mettez-vous du bord du vulgum pecus qui use, vulgo, à tour de bras, de vulgaires dialectes régionaux du genre Argentière-la-Bessée, Argenton-sur-Creuse, Argentré-du-Plessis, Argent-sur-Saulure, ASCQ, Aubeterre-sur-Dronne, Audun-le-Roman, Avesnes-sur-Helpe, Carrières-sur-Seine, Évian-les-Bains, Draguignan (inin), Mennetou-sur-Cher, Lesparre-Médoc (de mes deux…), Saint-Maixent-l'École, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Sainte-Foy-la-Grande, et j'en passe! Amenez-en des verrues… -sur-microscope si vous voulez! À mon avis, c'est plus tolérable que ces parlers dont je cauchemarde à peine les différentes intonations et les différents accents! Le crapaud, lui, ne coasse pas de trente-six façons! Au fait, saviez-vous que le cygne et l'éléphant ont le même cri? Ils barrissent. Ils sont bilingues sans le savoir, finalement!

- Si j'avais des rouflaquettes, je me les enverrais dans les yeux. Mais je suis probe, même si des fois je m'imagine avec quelque gourgandine bien menée…

- Vous êtes probe dans vos limites, je le serai moi aussi. C'est que la probité, ami, compère, compagnon, franc camarade, est un petit jeu qui se joue à deux. Toute la probité que j'ai et que je peux avoir quand j'écris, je l'étale au grand complet dans les lignes qui suivent: je suis probe, honnête, droit, vertueux, honorable, irréprochable, éprouvé, irrépréhensible, impeccable, incorruptible, consciencieux, scrupuleux, délicat, exemplaire, moral, correct, brave homme, homme de bien, estimable, respectable, recommandable, un digne homme, méritant, intègre, désintéressé, un juste, rigide, austère, sans reproche, inattaquable, strict, méritoire et louable. Voilà, c'est tout. Ça ne va pas plus loin car, pour le reste, en vérité, je suis menteur…

- Mais vous êtes gêneur, trouble-fête, déplacé, hors de saison, sans rime ni raison! Vous êtes de la moutarde après dîner, un chien dans un jeu de quilles. Vous êtes borné, nul, sot, balourd, benêt, péronnelle, plastron, nigaud, béjaune, ganache, dadais, jocrisse, jobard, jean jean, godiche, nicodème. Votre propos n'est que ravauderie, inanité, alibiforain, arlequinade, calembredaine, lantiponnage, fadaise, pantalonnade, trivelinade, billevesée, turlupinade, battologie, et méningite. Vous congestionnez la circulation littéraire!

- La congestion va bon train (elle va encore mieux en automobile…) Que diriez-vous d'un bon mal de tête avec ça, espèce de grande bouche à logorrhée persistante? (Veuillez ajouter un ton de politesse et de cordialité toute flegmatique quoique amicale à cette dernière remarque, je vous en serai fort gré.) À mon avis, il est condamnable de condamner toutes flatulences excessives du fait littéraire, toute diarrhée surabondante du flux des mots sur une page. À ce sujet: j'ajouterai ceci: les lallations de l'hétaire provoquent la corrasion de mon sens de la vertu en excitant mes gamètes. Sa voix melliflue soupire sur mon portefeuille hâve: «300$…» Je suis pris de sialorrhée en me répétant des capucinades. J'ai la vertu et je n'ai pas l'argent. tout joue contre ma tentation du vice. Mais cette femme, adepte du stellionat amoureux, me titille le criss, agace mon yatagans. Je ne suis pas une baudruche! Il faut calmer le taureau fougueux de la virilité qui rue dans mes brancards. Je vais caler une douzaine de grogs au bistro. En plus de calmer mes ardeurs, ça va servir de prodrome à ce qui suivra quand je rentrerai chez moi: la vue désolante de la pénéplaine aride que représente ma femme couchée sur le dos, dans le lit, en train de ronfler comme un éléphant qu'on martyrise avec un rouleau à pâte et une lime à ongle.

- Et alors? Pauvre bête!

- Euh… eh bien la pauvre bête finit par mourir dans son bain (de sang, on s'entend), il est 7h30, le réveille-matin sonne et la femme, aussi plate et ennuyante qu'un cadavre sous un rouleau compresseur se lève, se lave et part travailler sans dire au revoir. C'est dans cet état d'esprit que le pauvre mari se met à écrire. Pour prendre son pied et le mettre à son cou, pour se payer une petite partie de jambes en l'air fictive dans la position du lotus! On dit bien: «Ciel d'Afrique et pattes de gazelles»?

- Tout ce que je comprends, je crois le comprendre. Et quand je crois, je peux utiliser mes propres moyens. C'est dans ces moments-là que le fromage fond. On le mange, un corbeau dans un manteau de renard. Tout est synthétique, mais ça sent quand même.

- Nous parlons donc de compréhension, de lisibilité versus (c'est un anglicisme, je sais) hermétisme. Si je comprends bien, je peux dire toutes les conneries, tous les mensonges que je veux, si vous comprenez ce que vous voulez comprendre, vous pouvez tout transformer en vérités logiques! Avalez donc ça pour voir!:

Un homme marche dans une brebis et se retourne dans sa tombe ras-le-bol de bouillie pour chats. Il prend alors sa septième vie et la prend pour acquis. C'est tout. Il trouve ça ennuyant alors il décide de chanter une chanson éternelle pour le reste de l'éternité. Vous savez, la chanson: «Trois p'tits chats, trois p'tits chats, trois p'tits chats, chats, chats. Chapeau d'paille, chapeau d'paille, chapeau d'paille, paille, paille» etc.

- C'est ça. Et le lendemain, il pleut des koalas à Tombouctou. Je connais. Seulement, vous oubliez un détail. Quand on vit pour continuer, la compréhension ne cède jamais sa place à la connerie. C'est pour cela que vous pouvez lire ce qui précède.

Mais si j'écrivais des lettres sans ordre, vous sauriez que ce sont des lettres. Il y aurait un minimum de compréhension, alors ne me chantez pas de chanson.

- Soit, ainsi soit-il confrère obsédé de l'architecture alphabétique, mais les lettres abcdefghijklmnopqrstuvwxyz ne feront jamais mouiller sa petite culotte à une jeune vierge naïve en mal d'affection. Tout est une question d'effet, vérité ou mensonge. Visons disons du «Pink Floyd Live» formel ou du «Genesis au-dessus de huit minutes la toune» pour la forme. Avec cet amalgame, il y a de quoi «manger ses bobettes» comme le disent si bien les motards sous-scolarisés dépourvus de lyrisme.

- Ah! L'école! N'est-ce pas? C'est quand on ne va pas à l'école qu'on se rend compte qu'on est en vacances. Mais tout bonne chose a une fin, pour que l'on puisse de nouveau en profiter une autre fois. J'offre la trêve.

- D'accord, si vous insistez. Je termine comme j'ai commencé: dans la franchise et l'honnêteté. Ma dernière réplique sera finale et sans appel. Irrévocable (pour le moment).

Cher confrère au «gorgoton» lubrifié, plein d'œufs imaginaires (pour la ponte de textes), je n'ai qu'un mot à vous dire:

FIN


© 1990
Jocelyn Gagnon et Steve Savage

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