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Collaboration par courrier électronique
Dernière mise à jour: 4 novembre 2004
Noir = Jocelyn
Bleu = Michel

En attendant d'avoir un titre
par Jocelyn Gagnon et Michel Montreuil
en cours depuis le 13 mars 2003

(Version A)

L'automne pleuvait sur Koral IV et, assise au piano, Nascaa se laissait distraire par le tambourinement des gouttes d'eau pourpre sur les fenêtres du salon, signe d'un hiver imminent dont tous espéraient l'arrivée. Plus que trois heures avant l'allocution. Elle savait que tout se jouerait dans les minutes subséquentes. Tout ce pour quoi elle avait si durement travaillé, à la sueur de son joli front, allait enfin être presenté devant le comité de recherche composé de deux hommes qu'elle avait déjà connu et d'une femme qu'elle aurait préféré ne pas connaître. Dans tout le système, elle avait la réputation bien méritée d'influencer les membres de façon irrémédiable tout en leur donnant l'impression qu'elle se rangeait à leur logique.

Mais cette fois-ci, c'était différent. Ce qu'elle présentait avait le potentiel de changer à tout jamais leur perception de la réalité. Elle plaqua machinalement un accord dont les sons se perdirent dans l'atmosphère controlée de la salle du congrès. Elle n'eut aucune peine à imaginer les objections qu'ils allaient lui servir dès les premiers mots, objections qu'elle réfuterait en citant coup sur coup trois grands compositeurs qui avaient révolutionné la musique en plaquant simplement leur avant-bras sur le clavier. Elle connaissait le penchant mélomane de ces physiciens maniaques du detail, et elle savait que son plaidoyer était gagné d'avance.

C'est au moment où ils entrèrent dans la pièce qu'elle perdit de précieux moments à les devisager un par un, pour évaluer l'atmosphère et mesurer l'impact de cette confiance qui l'animait. Ils prirent place sans cérémonie et on l'invita à commencer.

Toute confiante, Nascaa y alla d'abord par un bref résumé de la situation actuelle à la suite duquel elle entama cavalièrement, à froid, l'exécution de l'exemple musical. Elle n'eut pas à expliquer d'inutiles évidences à un comité de musicologues bourrus, et préféra vivre pleinement ce moment où tous ces visages se concentrèrent subitement sur ses mains. Il ne restait plus qu'à laisser résonner la preuve.  Laisser raisonner son auditoire.  Elle sentit leur intense concentration sur...

(Version B)

L'automne pleuvait sur Koral IV et, assise au piano, Nascaa se laissait distraire par le tambourinement des gouttes d'eau pourpre sur les fenêtres du salon, signe d'un hiver imminent dont tous espéraient l'arrivée. Plus que trois semaines avant son retour. Schumann n'arrivait plus à lui offrir qu'une vague nostalgie dont elle ne se contentait plus. Elle avait besoin de nouveaux défis, et une visite à la bibliothèque musicale de Koral III lui semblant être une porte de sortie trop facile, elle décida de s'attaquer à cette partition qu'elle avait reçue d'un amant narquois lors de son dernier anniversaire. Un seul pianiste avait reussi à interpréter le troisième mouvement de façon convaincante.

Les gouttelettes devinrent averses comme la peur naissante du vide l'interpelant fréquemment dans ses cauchemars. Elle avait quitté Koral III parce qu'elle avait peur de la stagnation, peur de l'insoutenable inertie que le confort de sa colonie maternelle lui infligeait. Sans musique, sans exploration créatrice, Koral III était d'une tristesse inégalée, et Nascaa avait découvert que seules quelques personnes âgées nées loin des cités-usines ne s'y complaisaient pas.

Les notes laborieuses de la sonate naquirent de ses doigts après un moment. Elle en oublia la première reprise tant elle était absorbée par la richesse harmonique de l'andante. Pétrifiée soudainement par un accord qui lui rappela un pénible concert, deux ans plus tôt, elle s'arrêta, ferma le livre et, d'un geste, le projeta contre le mur qui étouffa le son, insensible à la réaction de la pianiste. Mais la suite de la partition s'était imprimée dans sa tête et elle le fredonna machinalement, comme si un sort lui avait été jeté. Les notes tapissaient les murs autour de Nascaa et elle avait maintenant du mal à les regarder sans avoir la nausée. Elle regretta soudainement le vide de sa colonie natale, l'agréable silence des soirées d'été sur le bord du ravin Nemo, l'absence totale de vent au coeur et la routine du quotidien, rassurante pour l'enfant qu'elle était.

L'automne pleuvait sur Koral IV, et Nascaa était submergée par un...

© 2003, 2004
Jocelyn Gagnon et Michel Montreuil
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